Notre vie … avec une maladie métabolique

Si tu savais comme j’ai hésité avant d’écrire cet article. J’ai du le commencer au moins dix fois. Et, dix fois, j’ai tout effacé après quelques lignes. Trop personnel, trop particulier. Ca ne t’intéresserait pas…

En plus, quand j’ai ouvert Les petits billets, je m’étais dit que je n’en parlerais pas. Je n’avais pas envie de pitié. Je n’avais pas envie d’être étiquetée. Je n’avais pas envie que tu me lises pour ça.

Le temps a passé et, avec lui, l’envie de l’écrire quand même est arrivée. L’envie de lever le voile sur cette particularité qui régit notre vie à tous, ici, au Palais.

Alors me voilà, prête à mettre des mots sur tout ça. Je me lance!

Les princesses et moi sommes atteintes d’une maladie métabolique appelée « Déficit en ornithine carbamyl transférase » (tu peux demander à google: ça existe vraiment!). Il s’agit d’un trouble héréditaire rare. Je ne vais pas te faire un cours de médecine mais, en gros, nous ne sommes pas capables d’éliminer l’ammoniac contenu dans les protéines. Ca provoque, évidement, quelques désagréments et il peut y avoir de graves conséquences. Mais soit, ce n’est pas là-dessus que j’ai envie de m’étendre aujourd’hui.

J’ai plutôt envie de te parler de ce que c’est, vraiment, de vivre avec une maladie grave et peu connue, au quotidien.

Il y a d’abord les conséquences pratico-pratiques.

Trois fois par jour, nous devons absorber un médicament absolument ignoble. Les princesses le prennent depuis leurs naissances. Elles y sont donc habituées et ça ne les dérange pas du tout! Moi, par contre, je ne supporte pas le goût de cette chose …. Alors, j’ai négocié avec le médecin et je suis passée à un autre produit, une seule fois par jour. Bref, jusque là, rien de bien méchant.

Bien plus contraignant, par contre: le régime! Nous devons suivre un régime hypoprotidique. Bah, facile, me diras-tu, c’est juste un régime végétarien. Eh ben non! Les protéines sont partout! Dans la viande, bien entendu, mais aussi dans les oeufs, dans le poisson, dans le lait, dans le fromage, dans certaines légumineuses et même dans les féculents! Alors, non, ce n’est ni un régime végétarien, ni un régime végétalien. Pour nous, pas de tofu ou de quorn. Les princesses peuvent absorber 20 grammes de protéines par jour. Pour ma part, c’est 30 grammes. La cuisine, au quotidien est un vrai casse-tête pour le Roi (oui, au Palais, c’est le Roi qui cuisine!).

Depuis peu, nous faisons une partie de nos courses en pharmacie: nous y trouvons des biscuits, des céréales, du pain, de la farine, du substitut de farine, d’oeufs, de fromage, de poisson ou de viande…. le tout, hypoprotidique et chimique! Ce sont des produits qui ne réagissent pas comme les produits que nous avons l’habitude de consommer et, il est difficile d’arriver à les cuisiner correctement.

Tout cela a des conséquences sur notre vie sociale. Pour moi, ça va encore: avec mes 30 grammes, je peux diminuer ma dose de protéines sur une journée si je sais que, le soir, je vais manger chez des amis ou au restaurant. J’y mangerai de petites quantités et le tour est joué. Mais, pour les princesses, c’est autre chose… et essaye de trouver un resto qui propose un plat enfant sans protéine. Alors, elles y mangent des frites ou des pâtes sauce tomate. Quand on va manger chez des amis, elles mangent rarement la même chose que les autres. Tout cela n’est pas très grave mais, de temps en temps, elles et moi, nous aimerions faire comme tout le monde ….

Il y a des moments où nous nous sentons particulièrement marginalisées. C’est le cas, tous les 3 mois, au moins, lors des contrôles à l’hôpital. Nous sommes examinées toutes les trois. Nous répondons à plein de questions. Nous sommes entourées d’un médecin spécialisé, d’une diététicienne et d’une psychologue. Nous nous soumettons aux analyses d’urine et aux prises de sang. Bref, nous y passons, au minimum une demi-journée. Et, de temps en temps (mais c’est plus rare, heureusement), nous y passons 24 heures, toutes les trois.

Finalement, tout cela n’est pas très si pénible. C’est juste une manière de vivre. Et, jusqu’ici, nous la gérons plutôt bien: les princesses n’ont jamais décompensé. Elles n’ont jamais eu de « crise ».

Ce qui l’est beaucoup plus, c’est cette peur au ventre. Cette peur qui me retourne les tripes depuis quelques années. D’abord, pendant les grossesses: cette maladie n’est pas viable pour les garçons alors, je n’étais pas certaine que j’allais pouvoir mener mes grossesses à terme et que mes bébés allaient pouvoir vivre. Les premières semaines furent terriblement angoissantes. Et, depuis qu’elles sont là, l’inquiétude prend le dessus dès qu’elles sont malades ou qu’elles sont loin de moi. Et si je ne reconnaissais pas les signes? Et si elles faisaient un écart à leur régime? Et si …. ? J’ai tellement peur de les perdre.

Je ressens, pour elles comme pour moi, une peur irraisonnée. Moi-même, je ne comprends pas bien comment « fonctionne » cette maladie. Je sais juste qu’elle est grave et qu’elle peut avoir des conséquences sans retour ….

Je crois que, vivre avec une maladie, c’est surtout ça: même si on apprend à gérer le quotidien, il reste l’angoisse. Cette peur primaire, celle de la mort.

La dictature des régimes

Chaque année, c’est pareil! En décembre, on enchaîne joyeusement les festivités et, surtout, les festins. On mange bien et beaucoup. Beaucoup trop, en fait. Alors, une fois le 1er janvier arrivé, partout, on entend le même mot: « régime »! Les kilos superflus et les moyens pour s’en débarrasser sont sur toutes les lèvres. Enfin, presque toutes.

Je n’ai jamais pris part à ce genre de discussion. Je n’ai jamais fait de régime et, d’ailleurs, je suis certaine que j’en serais complètement et absolument incapable…. un régime, ça demande de la volonté et, c’est une qualité que je ne possède pas.

Si je n’ai jamais porté d’intérêt aux conversations « kilos en trop », ce n’est pas parce que j’assume mes rondeurs. Non, pas du tout. Au contraire.

Moi, je suis cette fille qu’on connait à peine mais à qui on se permet de dire « t’as pas encore maigri, toi? ». En général, j’évite de répondre parce que, en effet, j’ai encore maigri et, aussi, parce que ma mère m’a bien éduquée et ça m’embêterait de renvoyer une réponse de type: « Ben si, et toi, tu n’aurais pas grossi? » à cette femme que je connais à peine.

Je suis cette fille à qui tout le monde pense qu’il est normal de demander son poids…. Je ne comprends pas! On m’a toujours dit que ça ne se demandait pas, qu’on risquait de vexer les gens…. Pourtant, on dirait que mon poids, lui, se demande sans scrupule. Un peu comme s’il appartenait au domaine public. Et moi, comme une imbécile (faut dire que malgré la récurrence de la question, je suis chaque fois prise au dépourvu), je réponds…. « 38 kilos ». « Quoi? 38 kilos. Mais nooooon? » « Ben si…. » « Mais c’est impossible! » Et, toujours comme une imbécile, je me justifie: « Mais je suis toute petite, hein! A peine 1m52 alors…. » (en plus je donne ma taille…. 5 minutes de plus et je donnerai toutes mes mensurations) « Ah oui, mais quand même, c’est peu! » Et là, en général, je ne sais plus quoi répondre….

Je suis cette fille que l’on jalouse un petit peu et à qui on demande ses secrets…. « Mais comment tu fais » « Ben, je fais pas, en fait…. je suis comme ça » « Non, allez, dis-moi…. tu fais du sport? Lequel? Tu fais quel régime? Tu manges quoi? Quelle quantité? » …. « Euh…. en fait, je ne fais pas de sport…. aucun! Et je mange ce que j’ai envie, quand j’en ai envie et autant que j’ai envie » « pas de chips, de chocolat ou de bonbons quand même? » « Ce que j’ai envie, j’ai dit! »

Je suis cette fille qu’on regarde un coin en se demandant si elle est anorexique. On s’inquiète de savoir ce que je mange, si je suis en bonne santé et on me donne des conseils avisés. « Il faut manger plus, hein! » « Ah oui, merci du conseil… Et le sentiment de satiété, on en parle? » Ou encore le fameux « Il faut grossir »… celui-là, je l’adore! On m’explique quoi et comment manger…. Et moi, je dis merci!

Je suis cette fille qui a peur quand elle va sur internet et, sans trop savoir pourquoi, surfe sur un site qui propose de calculer l’indice de masse corporelle et voit s’afficher le chiffre 16,4 accompagné de mots comme maigreur excessive, dénutrition, trouble du comportement alimentaire, médecin, urgent, etc

Je suis cette fille qui a mis des années avant de pouvoir tomber enceinte parce qu’elle était trop maigre.

Je suis cette fille qui, pour régler ce problème, a décidé de faire un régime grossissant, a compté les calories qu’elle mangeait à chaque repas pour en absorber un nombre acceptable.

Alors voilà, moi, les régimes, je connais pas. J’imagine que ça doit être difficile. Mais non, je n’ai pas de la chance de ne pas avoir de kilos en trop. Je rêverais d’en avoir et, j’espère que j’aurai réussi à grossir un peu d’ici l’été pour ne pas avoir honte de me mettre en bikini.

Finalement, on partage presque le même combat!